Parmi le panel de métiers existants au sein de l’Armée de l’Air et de l’Espace, certains sont très peu connus du grand public, alors que leur tâche est pourtant ô combien impressionnante (et insolite). L’un de ces métiers est celui du boomer. Le boomer (ou ARO : Air Refueling Operator), dans le jargon aéronautique, c’est le nom donné au sous-officier responsable du ravitaillement en vol. Et pour ceux qui s’interrogent, oui, on parle bien ici de transférer du carburant d’un avion à un autre en plein vol, à plusieurs milliers de pieds d’altitude !
Et un évènement a particulièrement transformé ce métier il y a quelques années : l’arrivée dans l’Armée de l’Air et de l’Espace de l’Airbus A330 MRTT Phenix. Cet avion ultra moderne, dérivé de l’avion de ligne A330-200, est un appareil multi-rôle (MRTT signifie d’ailleurs MultiRole Tanker Transport), capable d’assurer aussi bien du transport de troupe, de matériel, de l’évacuation sanitaire (rôle qu’il a d’ailleurs tenu pendant la pandémie) et du ravitaillement en vol. Capable d’embarquer jusqu’à 110 tonnes de kérosène (dont 60 sont disponibles pour les avions ayant besoin de ravitailler) il est un atout incroyable pour projeter des chasseurs à grande distance.
La raison pour laquelle le Phenix a profondément fait évoluer le métier du ARO : la digitalisation du poste. Auparavant, sur Boeing KC135, le boomer était installé dans la queue de l’avion, face à une vitre à travers laquelle il voyait directement les avions à ravitailler. Désormais, il est installé dans le cockpit, juste derrière le pilote et le co-pilote. Mais surtout, il est face à 6 écrans au travers desquels il peut, sur la partie haute et centrale, observer ce qui se passe tout autour de l’avion grâce à un réseau de caméras haute résolution installées sur l’avion, et sur la partie basse retrouver toutes les informations liées au contexte de la mission, comme l’état des réserves de kérosène par exemple.
Grâce aux deux mini-manches à sa disposition, le boomer peut déployer les paniers de ravitaillement (qui serviront aux avions équipés d’une perche de ravitaillement, comme les Mirage 2000 et le Rafale) mais également mettre en place et contrôler très précisément la perche rigide qui sera utilisée pour ravitailler certains avions comme les F16, F15 ou AWACS.
Cette dernière nécessite une expertise et une précision absolue, en effet, avant de s’insérer dans l’orifice de ravitaillement, la perche passera à moins de 2 mètres du cockpit du chasseur. Le moindre faux pas pourrait avoir des conséquences dramatiques. Pour faciliter le travail du ARO dans cet exercice, le poste du ARO sur le Phenix dispose d’un accessoire particulièrement utile : une paire de lunettes 3D. Celles-ci permettent à l’opérateur de retrouver une sensation de profondeur particulièrement utile quand il s’agit de positionner précisément la perche de ravitaillement.
On constate d’ailleurs que, pour faciliter et sécuriser la formation, un poste d’instructeur est présent à droite du poste du boomer, ce qui permet aux personnels en formation de bénéficier d’un accompagnement parfait.
Il était impossible de ne pas poser la question au sergent-chef Romain, ARO sur le vol de ravitaillement auquel nous avons pu participer : comment est-ce que cette évolution technologique est ressentie par les équipages ? Sa réponse est pleine de bon sens : « On a un peu perdu en terme de sensation, même si les lunettes 3D aident, c’est incomparable avec le fait de se retrouver en plein vol à moins de 10 mètres d’un avion de plus de 40 mètres d’envergure comme un AWACS » et de compléter « mais le numérique et notamment le fait de pouvoir être directement connectés en réseau avec les avions (notamment les Rafale) est un réel atout : avant même qu’un avion se présente au contact, on sait quelle quantité de kérosène il lui reste, le kérosène dont il a besoin, son indicatif…on peut du coup se concentrer sur la mission ».
Le capitaine Yohann, notre commandant de bord, est également pilote de KC135. De son côté, la conclusion est similaire : même si il préfère les sensations de vol du Boeing (notamment car il ne dispose pas de commandes de vols électriques, et permet donc de davantage ressentir l’avion en touchant le manche), il ne tarit pas d’éloges sur les capacités du Phénix et sur le fait que cet avion a été un réel game changer pour les opérations de l’Armée de l’Air et de l’Espace. Il permet de projeter une force d’intervention ou de dissuasion plus loin, plus vite.
Il est temps désormais d’assister au ballet du ravitaillement en vol. Nous sommes en procédure OTAN, les avions se présentent donc par la gauche. Avant de pouvoir ravitailler, toute une procédure radio est déroulée : confirmation de l’indicatif, du besoin en kérosène, puis le pilote du chasseur peut passer au « contact ». Le contact, c’est tout simplement celui avec le panier de ravitaillement.
A environ 600km/h et à plus de 20.000 pieds, l’exercice est hypnotisant : les pilotes des chasseurs, avec une précision absolue, insèrent la perche de leur avion pour pouvoir commencer à récupérer du carburant.
En fonction de leur besoin (et du type d’avion), le ravitaillement prendra jusqu’à 7 minutes pendant lesquelles l’ensemble des pilotes du dispositif vont devoir tenir une formation parfaite. En cas de turbulences trop fortes, le pilote de l’avion de chasse doit ralentir sa machine pour rompre le contact, ce qui coupe automatiquement le débit du carburant. Lors de ce vol d’un peu plus de 4 heures, ce sont quasiment tous les types d’avions de chasse de l’Armée de l’Air et de l’Espace qui viendront étancher leur soif : Mirage 2000-5, Mirage 2000D, Rafale (B), ainsi que quatre Rafale de la Flottille 17F de l’Aéronautique Navale.
Précision importante, le MRTT est évidemment capable de ravitailler toutes sortes d’avions (qu’il s’agisse d’un avion de transport, d’un bombardier ou d’un avion radar par exemple), y compris des avions interalliés dans le cadre de missions conjointes.
Nous tenons à adresser nos remerciements à tous ceux au sein de l’Armée de l’Air et de l’Espace qui ont rendu ce reportage possible, tout particulièrement le capitaine Loïc Tatard et la lieutenant Cyrielle Collin du SIRPAAE, le capitaine Fabrice de la cellule communication de la BA125 Istres-Le Tubé et bien sûr l’ensemble des membres d’équipage du vol VALNT36 qui ont bien voulu répondre à nos questions, notamment le capitaine Yohann et le sergent-chef Romain.